Une faune originale

Les hydrosystèmes souterrains (nappes d’eau libres, sous-écoulements des cours d’eau, etc.) exercent de fortes contraintes sur les organismes qui y vivent.

En effet, du fait de l’absence de lumière, la production primaire y est quasi-inexistante : les ressources nutritives sont donc limitées. De plus, en l’absence de photosynthèse, l’oxygène y est présent en quantité bien plus faible qu’en surface.

Pour s’adapter à cet environnement de prime abord hostile, les organismes ont développé des adaptations morphologiques, physiologiques et comportementales.

Les animaux stygobies présentent tous des caractères communs d’adaptation à la vie souterraine :

  • dépigmentation (couleur blanche ou transparente),
  • disparition des yeux ou anophthalmie,
  • formes allongées et filiformes, présentant de longs appendices sensoriels permettant de détecter une source de nourriture sur la base de quelques molécules dissoutes,
  • ralentissement du métabolisme permettant de supporter de longues périodes de jeûnes.

Ces organismes sont aussi capables de consommer tous les types de ressources nutritives dont ils peuvent disposer (débris organiques d’origine animale ou végétale en provenance de la surface, biofilms microbiens, etc.).

Ils ont ainsi un rôle méconnu mais important dans l’épuration et la détoxification de l’eau, contribuant activement à la préservation de la qualité des eaux souterraines.

Malgré un milieu de vie aux multiples contraintes, la faune aquatique souterraine présente une grande disparité de formes et une étonnante diversité d’espèces.

En France, elle ne comprend pas de vertébrés mais tous les grands groupes d’invertébrés sont représentés : crustacés, insectes, arachnides, myriapodes, mollusques, annélides, etc., sans compter les protistes et les bactéries qui vivent librement de manière planctonique ou regroupés sous forme de biofilms.

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À ce jour, quelques 7.000 espèces stygobies sont recensées dans le monde, et près de 400 rien qu’en France.

À toutes les échelles, la stygofaune est dominée par le groupe des crustacés et, dans une moindre mesure, par les mollusques puis les annélides. On compte également des « fossiles vivants » dont la présence s’explique par le maintien sur de très longues périodes (de l’ordre du million d’années) d’un milieu de vie tamponné et de conditions micro-climatiques constantes.

Une diversité d’espèces, mais des espèces fragiles

La diversité d’espèces dans les habitats souterrains peut s’expliquer par le fait que les prédateurs y sont bien moins abondants que dans les habitats de surface. De plus, la spéciation, processus d’apparition de nouvelles espèces, est forte dans ces milieux du fait de leur extrême fragmentation (pas ou peu de connectivité entre bassins versants) qui favorise l’isolement des populations.

Les milieux aquatiques souterrains sont ainsi considérés comme étant le type d’habitat abritant le plus d’espèces endémiques, et environ 70 % de la stygofaune française n’est pas répertoriée hors de France !

Parce qu’elles ont développé des adaptations particulières en réponse aux contraintes du milieu, les espèces stygobies sont hyperspécialisées et de fait particulièrement sensibles à la moindre perturbation environnementale. Plus de la moitié des espèces françaises sont classées comme vulnérables sur les listes rouges de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN).

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L’origine du nom « stygofaune » fait référence au Styx, principal fleuve qui traversait le monde souterrain des Enfers dans la mythologie grecque.

La stygofaune, témoin de la bonne santé d’un milieu ?

La stygofaune, très sensible à la qualité des eaux et aux variations de température de ses milieux de vie, habituellement très stable tout au long de l’année devrait constituer un excellent indicateur de la qualité et du bon fonctionnement des hydrosystèmes souterrains.

De plus, cet indicateur biologique compléterait la seule approche chimique actuellement développée pour définir le bon état de ces milieux.

Toutefois, si les recherches en bio-indication sont actuellement en plein développement, elles n’ont pas encore abouti à l’élaboration d’un « IBGN (Indice Biologique Global Normalisé) souterrain ».

 

La disposition, au terme de la phase 2 du programme d’étude, d’une base de données très conséquente en nombre de sites (plus de 350 au total pour la Nouvelle-Aquitaine) devrait permettre d’augmenter la résolution de tests statistiques appliqués (analyses multivariées entre autres) et de conclure quant à la possibilité d’utilisation de la stygofaune en matière de bio-indication (ou à l’inverse à sa non-applicabilité).

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Qu’appelle-t-on bio-indicateur ?

Un bio-indicateur (ou indicateur biologique) est un organisme ou un ensemble d’organismes qui permet de caractériser l’état et/ou le fonctionnement de l’écosystème dans lequel il vit et de mettre en évidence ses modifications naturelles ou provoquées.

Ainsi par exemple, les diatomées, les macrophytes, les macro-invertébrés et les poissons sont d’excellents indicateurs de la qualité des eaux de surface. De même, les lichens qui ont une sensibilité propre à certains polluants sont utilisés pour la bio-surveillance de la qualité de l’air et de la pollution atmosphérique.

Une espèce phare : la Gallaselle

Minuscule crustacé des eaux souterraines, la Gallaselle fait partie aujourd’hui des espèces stygobies les plus emblématiques.

Une espèce phare : la Gallaselle

Une espèce endémique …

Découverte en 1955 dans une rivière souterraine d’une commune des Deux-Sèvres, la Gallaselle est officiellement décrite en 1956 et dénommée Asellus heilyi.

Elle sera à nouveau étudiée dans les années 1970 et placée dans un nouveau genre taxonomique Gallasellus, afin de mettre en évidence son caractère unique en France et en Europe et de la différencier d’espèces nord-américaines avec laquelle elle partage un bagage génétique.

Jusqu’en 2012 et le programme « Étude et protection des gallaselles et de leurs habitats aquatiques souterrains en Poitou-Charentes », elle n’aura fait l’objet que de rares observations, quasiment toujours en Poitou-Charentes, ce qui fait de la Gallaselle une espèce endémique pour la région.

… au statut particulier !

De part son aire de distribution restreinte au grand centre-ouest de la France, la Gallaselle présente un intérêt scientifique et patrimonial de premier plan.

Classée « Vulnérable » sur la Liste Rouge Nationale des espèces menacées en France, sa préservation ainsi que la protection de son milieu de vie représentent des enjeux importants en matière de protection de biodiversité nationale.

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Qu’est-ce qu’une espèce endémique ?

Une espèce est dite « endémique » lorsqu’elle se rencontre uniquement dans une aire biogéographique donnée, en général de faible étendue.

Une première dans le cadre de notre inventaire

Il a été tout récemment identifié, dans une collecte datée du 17/08/2022 au ruisseau souterrain de Bassac (Beauregard-et-Bassac, Dordogne), un crustacé du genre Stenasellus, une première dans le cadre de notre inventaire, qui a déjà couvert les ex-régions du Poitou-Charentes et du Limousin.

Il s’agit d’un petit crustacé isopode (en l’occurrence un jeune mâle de 4-5 mm, cf. photo), stygobie donc (complétement aveugle et dépigmenté), dont l’identification à l’espèce nécessite encore un complément d’analyses génétiques (dét. F. Malard et C. Douady, université de Lyon 1).

Trois espèces de stenaselles (dont l’une compte 4 sous-espèces) sont actuellement connues et décrites en France, avec une répartition essentiellement méridionale (sud du Massif central, frange pyrénéenne, pourtour méditerranéen, Corse).